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samedi 13 novembre 2021 à 18h

« La question Queer, la théorie du genre et la cancel culture »

La théorie Queer et la question du genre sont devenues, en l'espace de quelques années, incontournables en politique et très en vogue chez les militants et les partis de gauche et d'extrême-gauche. Leur présence à l'Université ne cesse également de grandir, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. D'où viennent-elles et quelles sont leurs perspectives ? En partant de mon article « L'offensive des Gender Studies : réflexions sur la question Queer », paru dans ma revue L'Autre Côté en 2009, je souhaiterais revenir sur leurs origines en m'attardant sur les liens étroits qu'elles entretiennent avec l'Université, la French Theory et le militantisme politique.

Leur accointance avec l'Université, en particulier, n'est pas le fruit du hasard : la dégradation de cette institution est tellement avancée que ces théories viennent à point nommé pour cacher la vacuité manifeste de ce qu'on y enseigne, et offrir à bon compte le renouvellement d'un arsenal idéologique qui s'est réduit à peau de chagrin. Lorsque les départements de Women's Studies se sont créés aux Etats-Unis il y a déjà plusieurs années, ils ont conçu leurs objectifs, tout au moins en partie, comme l'avancement de certaines causes morales ou politiques telles que le féminisme. Or, traditionnellement, « l'engagement envers l'objectivité et la vérité était supposé rendre un étudiant capable d'enseigner dans un domaine, quelles que soient ses attitudes morales envers ce domaine. Vous n'aviez pas besoin, par exemple, d'être platonicien pour effectuer un bon travail d'enseignement sur Platon, ou marxiste pour faire un bon cours sur Marx. Mais une fois que les croyances en l'objectivité et la vérité sont abandonnées et que la transformation politique est acceptée en tant qu'objectif, il semble alors que la personne adéquate pour enseigner les Women's Studies doive être une féministe politiquement active. Or, selon la conception traditionnelle, il n'y a pas de raison qu'un universitaire de sexe masculin, et même un homme qui ne soit pas sympathisant des doctrines féministes contemporaines, ne puisse enseigner les Women's Studies ; mais dans la plupart des départements de Women's Studies aux États-Unis, ce serait à l'heure actuelle hors de question. » (John Searle, « Rationalité et réalisme : qu'est-ce qui est en jeu ? »)

Les récentes polémiques autour de la traduction des poèmes d'Amanda Gorman sont éloquentes, de ce point de vue. En effet, le fait que, dans plusieurs pays, la pression ait été forte et qu'une forme à la fois de censure et d'auto-censure se soit exercée au sein des maisons d'édition afin d'éliminer des traducteurs « masculins » et « blancs » donne hélas raison à Searle.

Mais le domaine de la traduction n'est pas le seul concerné par ce phénomène d'exclusion puisqu'il touche d'autres secteurs (sociaux, politiques, amoureux) : « Quoi qu'on veuille nous en faire croire, l'horizon de la révolte féminine se restreint de ce qu'elle exclut. Et dans cet appauvrissement du regard, l'affirmation du fameux droit à la différence ne contribue plus qu'à instaurer une dictature du Même. » (Annie Le Brun, Lâchez tout).

par Séverine Denieul, animatrice de la revue L'Autre Côté.